Non classé15 février 2024Par Patrick LagadecPatrick Lagadec : “Quelques messages clés”, Audition par la mission d’information de l’Assemblée Nationale sur les capacités d’anticipation et d’adaptation de notre modèle de protection et de sécurité civiles, 15 février 2024.

Publié sur Linked in, 17 février 2024

Assemblée nationale
Mission d’information
sur les capacités d’anticipation et d’adaptation
de notre modèle de protection et de sécurité civiles
QUELQUES MESSAGES CLÉS
de Patrick LAGADEC
proposés lors de l’audition du 15 février 2024

 

Notion de Crise : un saut à concevoir, accepter, et prendre en compte

1. Non pas l’urgence accidentelle spécifique qui oblige à mobiliser rapidement les lignes et modalités de réponses préparées, planifiées, répétées – chacun dans son domaine de compétence et en coordination –, pour répondre à une situation comportant difficultés techniques et incertitude.
Mais
2. Crise = la destruction des références, la sortie de nos paradigmes, la projection dans l’inconnu, avec des acteurs largement hors des champs habituels.

L’exigence : Excellence dans le connu, Inventivité dans l’inconnu.

 

Mutation accélérée : deux lignes de rupture se conjuguent

1. Des événements hors cadre de référence : hors échelle, hybrides à effets systémiques rapides, au milieu de nombreuses autres crises concomitantes (polycrises), projetant dans l’inconnu, et marqués par des surprises de haute intensité
2. Des socles sociétaux en grande fragilité, voire en surfusion : cohésion, crédibilité, légitimité, vérités alternatives (en réponse à la perte des repères et l’angoisse), démocratie… en question.
Nos prochaines crises ont toute chance de sortir radicalement de nos univers de référence. Et par là de révéler de façon cinglante nos retards en matière d’intelligence stratégique, de conception de nos préparations en matière de pilotage crise. Nous nous entraînons surtout aux urgences et grandes urgences, bien moins aux véritables crises qui sont désormais à l’ordre du jour.

L’exigence : Ne pas être en retard d’une guerre

 

Crises emblématiques : prise revers constante de nos références

Toutes les grandes crises des 25 dernières années sont sorties de nos épures consacrées. Tempêtes de 1999, Anthrax, AZF, Canicule 2003, Alex 2020, orage en Corse 2022, Covid…

Le préfet Gilles Sanson, dans son rapport sur les tempêtes de décembre 1999 avait repris des éléments de mon audition dans le cadre de sa mission d’enquête:

« En fait, personne ne semble avoir anticipé, dès les premiers signes alarmants, le scénario d’emballement qui a eu cours. Sans doute faut-il voir là un indice, dans l’organisation administrative des dispositifs en place, de la surestimation de la fonction de réaction sur celle de réflexion stratégique sur les dynamiques en œuvre. Il serait évidemment idéal de mener continuellement en parallèle cette réflexion.

Aucune cellule spécialisée, plus détachée à ce moment-là des contingences de l’urgence et sans doute trop rarement prévue dans les organigrammes, n’a d’ailleurs été mise en place ou activée pour assurer cette mission. Les possibilités de bifurcations multiples d’évolution des crises systémiques imposent, en effet, des modalités d’approche des problèmes qui prennent elles-mêmes mieux en compte l’imprévu, voire préparent celui-ci en tant que tel et abandonnent quelque peu des « logiques de réponses souvent trop codifiées pour des logiques de questionnement ouvert ».

Certes, l’intérêt de disposer de catalogues de ressources et des fiches réflexes reste entier.
Mais, face à « l’aberrant », à des circonstances dont les formes n’entreront jamais complètement dans des quadrillages exhaustivement préétablis, l’essentiel apparaît plus encore de développer l’apprentissage en soi de la réactivité collective, et de mieux apprendre à travailler efficacement en équipes et en réseaux.

Face à des réalités qui peuvent être mouvantes, empreintes de fortes incertitudes, où les problèmes de communication sont critiques, les moyens d’information et de commandement défaillants, les modes d’action habituels inadaptés, les responsables doivent avoir été eux-mêmes, autant que faire se peut, préalablement formés à intervenir dans ce type de situation
de rupture .»1

L’exigence : Une aptitude à la prise de recul stratégique – la méthode FRR

 

Se préparer aux surprises de haute intensité

  1. Une volonté stratégique des dirigeants (qui fait très souvent défaut).
  2. Des méthodes en rupture : non pas entrainer à mieux opérer dans le connu, mais accompagner les équipes pour les entraîner à naviguer dans l’inconnu.
  3. Exemples : formation des Directeurs médicaux de crise au sein de Sorbonne Université ; entraînement des Forces de Réflexion Rapide ; séminaires pour consolider l’aptitude à naviguer dans l’inconnu.
  4. Question : en plus des plans A, B, ……… Z, quelle préparation à des surprises de haute intensité comme sur les JO de Paris 2024, un problème de manque d’eau de longue durée sur une grande ville (Perpignan, Barcelone…), une inondation supérieure à 1910 sur l’Ile de France…… Quelle volonté de mettre ces sujets hors cadre à l’agenda ?
  5. Grandes innovations à saluer :
    • Séminaires pour les Préfets à la demande et en présence personnelle du Préfet
      Christian Frémont autour des années 2000, sur le thème : « Nouvelles crises, nouvelles attitudes ».
    • Construction d’une Force de Réflexion Rapide à EDF sous l’impulsion de Pierre Béroux, alors responsable de la maîtrise des risques. (2005…). Cette innovation FRR est désormais reprise par l’équipe (Marc Lerchs) de Gilles Mahieu, Gouverneur du Brabant Wallon.
    • Lancement d’une journée d’étude sur le thème « Thinking differently » par le Général Gallet, Commandant de la BSPP, juin 2018.
    • Demande du Gouverneur de la Province de Luxembourg, Olivier Schmitz, dans le cadre de la confection du plan national de crise belge : « Venez nous challenger ». (2023)

L’exigence : Au-delà des acquis en “gestion de crise”

 

Des innovations organisationnelles ?

Attention au réflexe de préconiser une nouvelle organisation (secrétariat d’État à la crise…), et de nouveaux outils.

Le point crucial c’est la préparation culturelle des acteurs à naviguer dans l’inconnu et le transverse, qui exige à la base une volonté stratégique de développer ce type de perspective.
Sans impulsion du plus haut niveau, cette préparation n’est pas engagée.

Entre autres questions : comment avez-vous construit votre dernier exercice, avec qui, et quelles surprises stratégiques ont été travaillées ? A-t-on donné une nouvelle place aux entreprises et OIV ? Quelle place y a été donnée aux citoyens ? Quelles innovations a-t-on testé en matière d’information, notamment FR-ALERT (dont l’usage reste très limité pour dire le moins), etc.

L’exigence : Plus que du lego organisationnel, des implications fortes des acteurs

 

Dépassement

  • Avec la population : reprendre l’exemple de cette petite fille anglaise de onze ans, Tilly Smith, qui fait évacuer une plage qui allait être submergée par le tsunami qu’elle a vu venir.
  • Au niveau stratégique. Les 3 cellules mises sur pied par le Conseiller spécial de l’Administrateur de la FEMA à Washington lors du cyclone Sandy (2012) :
    1. Une cellule “détection des erreurs” (pour les corriger au plus vite)
    2. Une cellule “détection des initiatives émergentes”
    3. Une cellule “invention”.

MON MESSAGE CLÉ :
Engager des gerbes d’initiatives majeures, de ruptures créatrices,
est d’une importance existentielle.
Sinon, « Nous serons défaits à chaque bataille ».

 

1 Premier ministre: « Évaluation des dispositifs de secours et d’intervention mis en œuvre à l’occasion des tempêtes des 26 et 28 décembre 1999 », Rapport d’étape de la mission interministérielle, juillet 2000, p. 37-38.

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