Non classé3 janvier 2023Par Patrick Lagadec« PERSONNE N’AURAIT PU IMAGINER… »

Publié sur LinkedIn, 3 janvier 2023

Il faut dépasser le cas spécifique d’un discours de vœux. C’est l’élément de langage rituel sur TOUS les problèmes qui sortent du convenu gaussien.

Torrey Canyon, 1967, Ministre de l’Intérieur : « Dans aucun pays du monde personne n’avait jamais imaginé qu’un pétrolier puisse couler auprès des côtes […] Personne n’aurait évidemment pu penser que 100 000 tonnes de pétrole puissent se déverser un jour dans la Manche. » Le Monde 14 04 1967

Il va falloir que les fabricants de discours arrêtent d’alimenter les dirigeants de ce type de talk-points usés jusqu’à la corde. Et que les dirigeants se méfient de ces phrases toutes faites, qui semblent si naturelles. Elles ne font que révéler brutalement des abîmes. Des abysses qui, justement, exigent des mobilisations sans précédent – créatives et non pas défensives.

Et attention : tous les milieux sont concernés. Le public, le privé… (voir mon livre Le Continent des imprévus…).
Y compris le monde académique. J’en ai fait la vive expérience dans des séminaires internationaux.
Grand colloque aux USA avec les spécialistes « Crise » de tous les continents. Après  avoir évoqué des surprise majeures, je subis un tir de barrage: « Ces problèmes n’existent pas » (une grand figure académique américaine), « Peut-être, mais ils sont désormais sous contrôle » (le directeur d’un grand centre de recherche européen).
Avec la conclusion cinglante de la présidente de séance, professeure américaine de science politique : « Vous êtes pessimiste ». Le maître Enrico Quarantelli me chuchota quand je revins à ma place : « Vous avez raison, mais vous ne les convaincrez jamais ». Un membre du DHS tenta de faire valoir qu’il travaillait précisément sur ces problèmes qui « n’existaient pas », mais on passa vite à autre chose, pour ne rien entendre.

Sur le chaos climatique, combien de fois n’ai-je souligné qu’il faudrait éviter de trop se fixer sur « la fin du siècle », sur « 2050 ». Récemment encore on opposait « fin du mois » et « fin du monde ». Je n’ai cessé de suggérer qu’il faudrait aussi se préoccuper de la « fin de semaine ». Car il faut compter avec des précipités systémiques bien plus rapides qu’anticipé, et qui surprendraient tout le monde, y compris les experts les plus pointus.

Le sauf-conduit rituel – « Personne n’aurait pu imaginer » – ne fonctionne plus. Et même si, effectivement, les manifestations spécifiques ne peuvent être anticipées dans leurs formes particulières. Car c’est l’enjeu de fond qui importe.

Dans un monde de turbulences de haute intensité, d’autres repères fondamentaux d’action s’imposent. Il va falloir mettre au cœur du leadership la capacité de questionnement, et d’action, hors du convenu.

C’est bien d’ailleurs le cœur du rapport US sur la tragédie du 11-Septembre: « A Failure of Imagination ».

Lagadec-Le-Continent.pdf

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