Non classé19 août 2025Par Patrick LagadecPatrick Lagadec : “Retex : Sursaut au bord du précipice – L’Europe entre Anchorage et Washington”

Publié sur LinkedIn le 19 août 2025.

« Le bord du précipice dicte un impératif : obtenir de la marge de manœuvre ».
Henry Kissinger, Les Années orageuses, Fayard, 1982, Mémoires tome 3, p. 614.
« Une bataille perdue est une bataille que l’on croit perdue ». Maréchal de Saxe

À l’issue d’une série d’acrobaties diplomatiques en mode « fusant », de l’Alaska à Washington, les acteurs, commentateurs, et analystes de l’immédiat doivent tenter, à partir des informations obtenues, de disséquer les avancées, les ombres, les risques, les contours possibles, les lignes-forces probables, du futur proche. C’est une première logique de RETEX en mode accéléré qu’il faut s’efforcer de conduire alors que rien n’est stabilisé.

Les analystes du temps long pourront eux-aussi, en temps voulu, tenter d’y voir un peu plus clair dans cette séquence marquée par le choc et l’imbrication de lignes de fond et d’accidents, de volontés et d’impuissances, de raisonnements et de pulsions, de mots et de silences, de gestes et de postures. Et, même avec le recul, l’historien devra se montrer circonspect. On se souvient de Mc Namara déclarant des décennies après la crise des missiles de Cuba qu’en réalité on s’était lourdement trompé dans les visions à l’époque. Et avec cette terrible sentence finale vu les enjeux ultimes pour l’humanité : « I want to say, and this is very important: at the end we lucked out. It was luck that prevented nuclear war. We came that close to nuclear war at the end. »

C’est dire le champ et la profondeur des RETEX qu’il nous faut conduire. Sachant que, dans un milieu aussi fluide et explosif que celui dans lequel nous plongeons, c’est de la qualité et de la vitesse d’exécution de ces RETEX que dépendent largement les capacités de navigation requises.

Mais je voudrais introduire une autre perspective de RETEX.

La séquence actuelle, centrée sur la dérive largement hors contrôle entre Anchorage et Washington avant l’irruption européenne, a montré une remarquable réactivité du vieux Continent – à dire vrai une surprise à laquelle nul n’aurait pu penser après des années de bourbier dans cette agression russe sur l’Ukraine, les réactions en ordre dispersé, les atermoiements dans les réactions, le plus souvent sur le mode « trop tard, trop peu », ou selon la sinistre formule de la série britannique « Yes Prime Minister » : « Any support, short of help ». Comme si, pour beaucoup d’acteurs, la volonté profonde de conserver ses chances pour un retour au business fructueux avec la Russie tenait les stratégies de réponse.

Un RETEX fort utile, dans ce champ des relations internationales, et dans bien d’autres champs serait de tenter d’ausculter les ressorts et facteurs qui ont permis aux acteurs européens de se mobiliser et d’intervenir à Washington – en force commune, avec des propositions construites, et des modalités d’interventions calées pour pouvoir traiter – sans tout faire exploser – avec un dirigeant américain aussi pris dans ses obsessions, ses pulsions de l’instant, ses fureurs, ses dépendances psychiques vis-à-vis de ses idoles tyranniques, son goût exclusif pour le spectacle télévisé…

Au nombre des questions :

1. Quels ont été les déclics, notamment après la retraite de Russie que fut la reddition en Alaska, qui ont conduit à l’idée que l’on pouvait passer à l’action ?

2. Il existait une brève fenêtre d’opportunité quand le « propriétaire » de la Maison-Blanche a été contraint de ressentir le vent de l’échec et même de l’humiliation. Comment a été saisi et utilisé en flash cette fenêtre d’opportunité ?

3. Comment les uns et les autres ont pu susciter la volonté de réaction, quand on aurait pu penser la bataille perdue et continuer à « suivre » en vassaux écrasés et paralysés (comme en Écosse) les ballets désordonnés et tragiques d’un président US en décrochage et donc mode totalement incontrôlé ?

4. Comment a-t-on construit une coalition de volontés, d’analyses et d’action ?

5. Comment s’est-on réparti les rôles ?

6. Comment, en mode hypersonique, a-t-on construit l’opération Washington ?

7. Surtout : comment a-t-on injecté de la confiance et de la détermination ?

8. Quels que soient les résultats, ce qui a été évité par cette mobilisation « inconcevable ».

En d’autres termes : engager un RETEX sur la construction d’un sursaut collectif auquel personne ne croyait plus.

Quels que soient les résultats finaux, l’Europe a au moins réussi à injecter à Washington ce qui fait le plus défaut à cette heure où le non-sens et l’abject ont mis toutes les forces à leur service – une démonstration de volonté créatrice et de dignité sans lesquelles il n’y a aucune navigation possible dans une ère où le chaotique est choisi comme réponse aux défis ressentis comme trop lourds pour être relevés.

POUR TRAVAILLER LES UNIVERS DE SURPRISE, D’INCONNU, ET SE PRÉPARER EN PROFONDEUR,

AVEC L’ÉQUIPE DE Mathieu Langlois : HOT ZONE RESCUE : https://youtu.be/F-psF057kR8

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