Non classé20 décembre 2025Par Patrick LagadecPatrick Lagadec: « Écouter ce que l’on ne veut pas entendre »

Publié sur LinkedIn le 20 décembre 2025.

Stimulante chronique de Philippe Bernard dans Le Monde ce samedi 20 décembre 2025 .
Extraits : « Jamais la nécessité d’envisager l’inimaginable n’a été aussi urgente. Aujourd’hui, le champ des “impensables” semble illimité. Face à la multiplication des “événements impensables” il faut mieux écouter ce qu’on ne veut pas entendre et regarder ce qu’on ne veut pas voir ». «C’est ce que fait Le Monde […]»

Je noterai en premier lieu que le problème n’est pas seulement d’imaginer des « inimaginables ». Il s’agit de travailler sur de nouvelles armatures intellectuelles, des logiques de pilotage et d’aide au pilotage.

En ne se contentant pas de lister année après année les basculements et les furies du monde, mais de penser, d’inventer, de construire, de mettre à l’épreuve des modalités opérationnelles nouvelles que ce monde exige.

Il va s’agir de se mettre en capacité de naviguer dans un monde totalement pétri de ces impensables. Nous n’avons pas de temps à perdre. Les chocs ne nous attendront pas.

Pour l’heure, nos ancrages, nos repères, nos entrainements, ne nous préparent guère à cette navigation hors des routes balisées. Même les repères construits à la fin du siècle dernier en matière de « gestion de crise » sont largement dépassés (même s’ils restent à connaître et consolider). Car nous sommes passés du risque de l’accident à l’épreuve constante de l’engloutissement.

Nous constatons surtout des refus d’obstacles, des refus de préparation, des fuites dans des voies de détresse aussi dangereuses que suicidaires : sidération systématique, blocages par défaut, replis dans des certitudes qui ne tiennent plus, colères et haines tous azimuts.

Sans oublier la mise à l’écart quasi systématique de celles et ceux qui tentent d’ouvrir de nouveaux chemins (« Ici c’est comme le Mikado, le premier qui bouge, il a perdu »).

Je noterai aussi, puisque l’article assure « c’est ce que fait Le Monde », que les avancées seraient plus aisées si ceux qui peuvent aider à faire connaître ces dynamiques d’invention ne refusaient pas « d’écouter ce qu’on ne veut pas entendre et regarder ce qu’on ne veut pas voir ».

Mes derniers livres – tous – ont connu cet effacement par défaut. Mes éditeurs se sont heurtés à des murs. Ou plutôt à des vides.

« Ruptures créatrices », Éd. d’Organisation, 2000

« La Fin du risque zéro », avec X. Guilhou, Eyrolles, 2002

« Voyage au coeur d’une implosion – Ce que l’Argentine nous apprend », avec Laura Bertone, Eyrolles, 2003

« Piloter en univers inconnu », Préventique, 2013

« Le Continent des imprévus – Journal de bord des temps chaotiques », Les Belles Lettres, 2015

« Le Temps de l’invention – Femmes et Hommes d’État aux prises avec les crises et ruptures en univers chaotique », Préventique, 2019

« Sociétés déboussolés, ouvrir de nouvelles routes », Persée 2023. https://lnkd.in/eUjHtVJp

Benoît TROHEL • 1st
FOUNDER OF O.S.E (Organisation-Stratégie-Engagement)-TRAINER-LECTURERSECURITY ADVISOR-FORMER POLICE NEGOTIATOR-FORMER CHIEF OF STAFF AND TEAM LEADER WITHIN THE SPECIAL UNITS OF FRENCH NATIONAL POLICE

L’incertitude dérange…alors qu’elle est propre à la condition humaine, par nature imparfaite.

PL : oui, et quand l’incertitude particulière se fait inconnu général, que le refus de travailler ce défi se solidifie et se généralise comme piètre compensation à l’inquiétude de perdre des zones de confort, l’incertitude de mue en une certitude : celle de déroutes assurées.
Une seule voie s’impose : la détermination de se mobiliser personnellement et collectivement pour travailler ce qui doit l’être. « Ouvrir de nouvelles routes ».

Raphaël Caillet • 1st
RCSSI et chef de mission, MBAsp Management Sécurité – Académie militaire Gendarmerie Nationale – Opinions personnelles

Merci Patrick Lagadec de continuer à creuser inlassablement votre sillon pour nous permettre de réfléchir et agir différemment.

PL : Oui Raphaël Caillet, la difficulté est bien de parvenir à susciter quelque intérêt, ou au minimum un sauf-conduit, pour cette tâche urgente : « réfléchir et agir différemment ».
La pathologie constante est la fuite et le rejet au moindre zéphyr laissant pressentir qu’il va s’agir de sortir du convenu.
Lorsqu’avec le Général Gallet, Commandant la BSPP, en 2017, on forma le projet d’une réunion internationale sur le thème « Crises : Penser autrement », on leva instantanément de farouches oppositions. La réunion eut tout de même lieu, et fut un succès, en dépit des manoeuvres.
Il faut bien comprendre que ce saut dans le différent est le plus souvent ressenti comme une terrible et intolérable agression. « On avait pourtant tiré les leçons de l’avant-dernière déroute ; laissez-nous en paix ! »
Chaque jour on voit les plateaux et les journaux s’offusquer devant les défaites, les sidérations, les impuissances, et cette consternation finit par devenir la symphonie quotidienne. Mais la question sous-jacente n’est pas posée : pourquoi une même dimension d’impuissance sur tous les fronts ?
Il va être temps de passer à une phase d’invention. Au moins avec celles et ceux qui veulent dépasser les Lignes Maginot qui nous perdent.

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