Au-delà des mille et une difficultés spécifiques ou générales à résoudre, des injonctions
contradictoires à traiter, des impératifs de long terme à ne pas oublier sous l’urgence immédiate, il
y a le défi (pour tout le monde) de faire advenir des grammaires de pilotage, d’écoute et d’action
adaptées aux crises systémiques désormais dominantes.
Le dirigeant est jeté dans des situations de plus en plus complexes et mutantes. On lui transmet la patate explosive quand c’est déjà l’incendie dans les médias, la consternation, l’angoisse et la révolte dans les chaumières, le blocage des grands axes routiers (et des exactions certes encore éparses à cette heure). Il lui faut mettre la dernière éruption au-dessus de la pile, sans relâcher l’attention sur toutes les autres, qui peuvent elles aussi se transformer en méga-crises systémiques et drames humains. Et se porter dans le champ de mines, aller à la rencontre des acteurs, inventer avec le plus grand nombre.
Le voici, nous voici, aux prises avec des situations « diaboliques » si l’on reprend le terme forgé par deux analystes dans les années 1970, Horst Rittel et Melvin Webber, qui s’interrogeaient sur des épisodes particulièrement difficiles. Aujourd’hui, nous n’avons plus à traiter tel ou tel épisode, mais des configurations générales qui répondent aux caractéristiques que ces deux analystes avaient mis au jour [i] : Situations faites d’écheveaux de problèmes complexes et interdépendants – avec impossibilité d’isoler les causes, de trouver des solutions spécifiques, de progresser par essais-erreurs puisque toute action a des effets de cliquets. Les milieux sont fluides, les contextes volatils, les couplages globaux et serrés, les socles fragilisés, les prises en masse brutales, et souvent opportunistes. Les raisonnements linéaires ne sont plus pertinents que pour des zones très spécifiques des vastes domaines à maîtriser.
L’impératif, à côté du traitement des incendies de l’immédiat : construire des capacités de compréhension et de pilotage pour naviguer dans ces eaux qui ne sont plus bien navigables par nos esprits cartésiens, et nos cultures administratives et gestionnaires. Cela appelle d’autres repères intellectuels, d’autres préparations pour naviguer dans un univers de ruptures majeures.
Pour que nos « Sociétés déboussolées » puissent traverser ces défis de plus en plus cruciaux, il nous faut « Ouvrir de nouvelles routes ». Et le faire au milieu de mille tempêtes sur tous les fronts.
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[i] Horst Rittel & Melvin Webber, “Dilemmas in a General Theory of Planning”, Policy Sciences, Elsevier, 4, 1973