Publié sur LinkedIn, le 16 juillet 2025.
La période estivale est riche en publications, colloque, messages, concernant la sécurité comme la résilience nationales à l’heure des nouveaux tableaux de menaces.
On pourra, avec raison et avantage, lire et travailler les rapports publiés, et notamment la toute récente « Revue nationale stratégique 2025 » du SGDSN –
https://www.sgdsn.gouv.fr/files/files/Publications/20250713_NP_SGDSN_Actualisation_2025_RNS_FR.pdf
Les dimensions capacitaires, dont il est beaucoup question actuellement, sont bien entendu dimensionnantes. Comme l’a dit Charles de Gaulle : « La proportion rompue entre le but et les moyens, les combinaisons du génie sont vaines » (Propos recueillis par André Malraux, Les Chênes qu’on abat, Gallimard, 1971).
Mais un chaînon essentiel semble souvent manquant : Quelles dynamiques de préparation et de transformation pour que les visions, constats et préconisations édictés puissent se traduire effectivement en aptitudes à naviguer – sans couler instantanément – dans un tel monde de furies et de fureurs ?
Mes tests pour suggérer des mises en condition de réussite qui soient autre chose que de la « continuité d’activité » ou de la « gestion de crise/communication de crise » ont des résultats en cohérence avec ceux réalisés par nombre de collègues à l’international : « No time, no need, no money ».
Très généralement, zéro retour, un océan de vide : « … ». Parfois, un retour, mais perdant : « Ce n’est pas le bon moment ; le chef est trop occupé avec ses amoncellements de dossiers ».
Parfois encore, un verdict définitif : « Inutile d’insister, les entourages couleront d’emblée la proposition, par trop inhabituelle ». Exceptionnellement, un retour écrit d’une honnêteté saisissante : « Nous avons décidé de ne pas donner suite, mais l’avenir vous donnera raison ».
Il est pourtant vital de changer de braquet à l’heure des menaces existentielles actuelles, qui sont de natures déferlantes, systémiques, polymorphes, impensées… Quels que soient les écrits publiés comme les discours prononcés, des ensembles humains et organisationnels non préparés aux enjeux tels qu’ils se posent actuellement (nous ne sommes plus dans les années 90 quand fut lancé la « gestion de crise » chez les meilleurs acteurs) sont et seront dans l’impossibilité d’anticiper, de réagir, d’inventer, de coordonner, de susciter des volontés collectives. [On le voit d’ailleurs avec la démonstration saisissante qu’offre l’Europe dans les affres trumpiennes].
La question est donc celle de savoir si nos grandes organisations essentielles à la survie de la Nation – militaires tout autant que privées – se mobilisent pour se mettre en capacité de navigation dans les « perfect storms » actuels. Ce qui passe, notamment, par un design organisationnel adapté, avec de nouvelles « Forces de Réflexion Rapide » en travail continu pour ne pas laisser le champ libre à la surprise capable d’emporter brutalement les meilleures lignes de défense.
Quelques idées de travaux pourraient être suggérées pour action dans les instances les plus pointues en matière de sécurité nationale (École de Guerre ? IHEDN ? IHEMI ?) :
– Mémoire : « Vous reprendrez les meilleurs écrits et discours pour identifier les visions, hypothèses, sauts de raisonnement, assurances type « Ligne Maginot » … qui, au-delà de leur solidité, pourraient se révéler des lignes de faille majeures ».
– Mémoire : « En 1940, la guerre fut perdue en 60 jours. En 2025, comment pourrait-elle être perdue en 60 heures ? Et comment éviter ces scénarios ? ».
– Mémoire : « À l’heure des guerres hybrides, masquées, potentiellement expéditives, comment penser et opérer la dissuasion nucléaire ? »
– Mémoire : « Qu’est-ce que le cas ukrainien nous invite à penser en termes de ruptures, y compris déchirantes, qu’elles soient techniques, organisationnelles, comme dans la place des citoyens ? »
– Visites de terrain : Au lieu d’aller « visiter les plus belles salles de crise », demander une présentation des initiatives les plus avancées au niveau des COMEX, CODIR, Directions.
– Exercices : Travailler sur les exemples d’exercices non conventionnels qui ont été mis en œuvre par les meilleurs acteurs. Et mettre en œuvre des exercices qui ne soient plus uniquement des tests opérationnels, mais des occasions de se confronter à des surprises stratégiques fondamentales.
– Retours d’expérience : Demander aux grands acteurs ce qu’ils ont lancé comme RETEX à l’international pour apprendre au plus vite en matière de surprise et de capacité d’invention.
– Etc.
Sans pareilles dynamiques, les rapports, colloques, plans, discours ne pourront devenir de réels leviers de changement.
SOCIÉTÉS DÉBOUSSOLÉES – OUVRIR DE NOUVELLES ROUTES, PERSÉE, 2023.
https://www.patricklagadec.net/wp-content/uploads/2024/10/TEXTE-FINAL-11469-Int-2.pdf